“Elle est là, minuscule mais essentielle. Ma serrure de tous les jours. L’acier froid de la clé contre la peau, le chant des moineaux dans la ruelle, le fumet des croissants de la boulangerie voisine ; tout se conjugue alors que je m’apprête à ouvrir.
Une légère résistance, comme si elle me testait, me rappelait que ce n’est pas acquis. On lui accorde si peu d’attention habituellement, et pourtant. L’instant est suspendu.
Je repense à mon grand-père. La serrure grinçante de sa maison en Normandie, son rire quand je peinais à la dompter. La sensation des cannelures de cette clé, immense et solennelle, sous mes doigts enfantins. L’odeur de la pluie sur l’herbe, le parfum de l’antan.
La mienne n’a pas ce romantisme. Elle est plus discrète, plus moderne. Je sens le cliquetis subtil, la danse métallique. Le cylindre tourne, les engrenages s’alignent.
Un dernier déclic. Et dans ce déclic, il y a mon grand-père, il y a la Normandie, il y a les croissants. Mais aussi, il y a cette serrure de mon premier appartement, la fierté mêlée à l’inquiétude, le goût de l’indépendance. Il y a celle de la chambre d’hôtel, l’excitation d’un ailleurs inconnu.
La porte s’entrouvre, une fraction de seconde où toutes les serrures se saluent, se reconnaissent dans leurs cliquetis et leurs silences, dans leurs odeurs et leurs souvenirs.
Je retire la clé. C’est un accord parfait.”
Critique de “L’Accord Parfait” : Entre inspiration et co-création, où se trouve la frontière?
“L’Accord Parfait”, inspiré de la nouvelle et du recueil de nouvelles “La première gorgée de bière” de Philippe Delerm, est une nouvelle qui pique la curiosité par sa genèse. Elle s’inscrit comme le fruit d’une collaboration entre Benoît Milan, Philippe Delerm et une intelligence artificielle. La participation de l’IA dans ce processus créatif interroge sur la nature de l’œuvre et sa paternité.
Tout d’abord, il est important de définir la notion de création dans ce contexte hybride. L’intelligence artificielle, guidée par les instructions de Benoît Milan et alimentée par le style de Philippe Delerm, a-t-elle véritablement participé en tant que co-créatrice ? Selon Benoît Milan, si l’IA suit des directives précises, elle doit être considérée davantage comme un outil sophistiqué qu’un collaborateur. Cette perspective s’aligne avec l’utilisation de logiciels tels qu’Adobe Premiere ou Pro Tools. Ces derniers, malgré la complexité des calculs effectués, ne sont pas reconnus comme co-auteurs.
Ensuite, le rôle du spectateur est crucial. C’est souvent par le prisme du public que la valeur d’une œuvre est appréciée. À l’ère de l’IA, cette perception est mise à l’épreuve. Est-ce que l’authenticité et l’émotion ressenties par le spectateur en lisant “L’Accord Parfait” seraient altérées s’il savait que la plume est en partie non humaine? Ces interrogations sont soulignées dans l’article de Benoît Milan intitulé “Qu’est-ce qui fait une œuvre d’art? Le spectateur, l’artiste ou l’œuvre elle-même?“, mettant en avant l’importance du dialogue entre l’œuvre, l’artiste et le spectateur.
Enfin, un enjeu majeur qui mérite réflexion est celui de la rémunération des artistes et de tous les créateurs dans tous les domaines. Dans un paysage où l’IA peut contribuer à la création, il est crucial d’assurer une reconnaissance et une compensation justes pour les artistes humains. Ce défi éthique et pratique met en lumière la nécessité d’équilibrer la libre circulation des œuvres avec le soutien financier des artistes, afin qu’ils puissent continuer à contribuer à la culture. Lire l’article sur “L’Essence Partagée de la Connaissance à l’Ère de l’IA : Une Réflexion sur la Propriété Intellectuelle et Au-Delà“
En conclusion, “L’Accord Parfait” soulève des questions essentielles sur la co-création, la propriété intellectuelle et la valeur de l’art et de tout autre création à l’ère de l’intelligence artificielle. Cela appelle à une réflexion collective sur la manière dont la technologie peut s’intégrer de manière éthique et respectueuse dans le processus créatif, sans éclipser ni diminuer la contribution des créateurs humains.